CHAPITRE V
Le professeur Spricey, du Centre de recherches biologiques, s’était immédiatement mis à la disposition de Mac-Corry.
C’était un homme sec, au front dégarni, à l’œil vif. Comme il se consacrait avant tout à la Science, il se moquait éperdument de ce qui pouvait éventuellement se passer en dehors de son laboratoire.
Toutefois, depuis le jour où on lui avait amené, pour expertise, une certaine poussière impalpable, de couleur vaguement blanchâtre, Spricey avait daigné demander d’où provenait cette substance.
Du coup, cela lui avait prouvé qu’il n’était pas seul au monde et dans son laboratoire, aidé de ses collègues, il avait fait une analyse de ces cendres blanchâtres…
Mac-Corry en connaissait le résultat, identique à celui des biologistes français.
— Vous avez bien fait de suivre mon conseil, professeur, fit Mac-Corry en tendant à Spricey sa boîte de cigares.
L’hélicoptère est le moyen le plus sûr. Il est dangereux de se risquer en automobile, même dans Washington.
Spricey refusa le cigare, en souriant. Il ne fumait pas. C’était d’ailleurs interdit au laboratoire. Le biologiste ne se voyait pas bien, en effet, l’œil fixé au microscope, une cigarette à la bouche…
— Pour venir jusqu’ici, je n’ai pas distingué la moindre silhouette. Les rues sont désertes.
— J’espère, tout de même, que vous avez aperçu quelques-uns de mes hommes !
— Evidemment… Plusieurs patrouilles circulent en ville. Mais je voulais parler des civils.
Mac-Corry se leva pour jeter un coup d’œil par la fenêtre. Il grimaça.
Les feux de signalisation clignotaient pour d’invisibles clients. Les trottoirs étaient vides, sinistres. Ce désolant silence avait quelque chose de menaçant…
— Pourvu que notre agresseur s’en tienne là, murmura sourdement Mac-Corry.
— Beaucoup de victimes, à Washington ? demanda Spricey.
— Pas énormément. Une soixantaine, dont quarante-deux policiers, morts à leur poste. Enfin, Spricey, vous êtes plus compétent que moi. Vous pourriez peut-être me dire…
— La provenance de ce résidu blanchâtre que l’on découvre après l’extraordinaire luminosité ? La chose est dans mes possibilités… Comme je vous l’ai fait savoir, l’analyse a démontré qu’il s’agissait de phosphate et de carbonate de chaux, substances dont est composé le squelette. Voici du moins pour la question scientifique. Quant à expliquer d’où provient ce phosphate de chaux, ou plus exactement comment il est parvenu sur les coussins des automobiles, la réponse à ce problème repose sur l’évidence.
Mac-Corry se pencha à nouveau par la fenêtre. Il aperçut quelques policiers qui faisaient les cent pas dans la rue. Cette vision le réconforta.
— C’est effroyable, professeur. Une arme capable de réduire en poussière le corps humain !…
— Hum !… Nous avons déjà assez de moyens de destruction. Et au fond, vous savez, tous les moyens pour détruire se ressemblent. Ils donnent la mort. D’une façon différente, d’accord. Mais le résultat est le même.
— Sans doute, grogna Mac-Corry qui sentait que le biologiste s’éloignait du sujet… Mais avez-vous une idée sur cette arme nouvelle et effrayante ?
Un instant, Spricey songea aux pistolets électrocuteurs, utilisés par les Terriens, et susceptibles de foudroyer facilement un homme. Il songea aussi à toute la variété des projectiles atomiques, depuis la plus petite balle jusqu’à la monstrueuse bombe à l’hydrogène… Sans oublier les pistolets au napalm, qui carbonisaient instantanément leurs victimes.
Terrifiante, l’arme lumineuse ? Pour Spricey, non. Seulement stupéfiante, inattendue.
— Notre corps est formé d’une infinité de cellules microscopiques, de l’ordre de 1/1.000 de millimètre, ou micron. Chaque cellule est constituée par une substance gélatineuse, transparente, analogue au blanc d’œuf : c’est le protoplasme. Dans le protoplasme se trouve une masse arrondie, plus brillante : le noyau, formé d’albumine riche en phosphore. Or, s’il existe des microbes pathogènes, susceptibles de détruire ces cellules, cette destruction peut également survenir sous l’effet d’agents artificiels, gaz et acides, par exemple. Une cellule atteinte est une cellule perdue. Elle meurt comme un être vivant, et se décompose progressivement. Admettons un agent artificiel capable d’atteindre l’ensemble de l’organisme, d’un seul coup, et ayant la propriété de décomposer instantanément les cellules… C’est ce qu’on appelle la « désintégration » ou « dématérialisation ».
— Hum ! grimaça Mac-Corry. Difficilement compréhensible, votre théorie.
— Pas du tout. Je vais l’illustrer par un exemple. Jetez un animal dans un bain d’acide sulfurique. Progressivement, vous pourrez assister à la mort de ses cellules, à leur décomposition plutôt… Prenons maintenant la carbonisation. N’avez-vous jamais aperçu un homme carbonisé ? J’avoue que le spectacle n’est guère agréable. Mais voici un exemple de ce que peut être une décomposition instantanée. Multipliez ces agents artificiels, destructeurs de cellules, par un cœfficient que je laisse à votre choix… Vous aurez un aperçu schématique de l’arme nouvelle qui nous inquiète.
Spricey venait à peine de terminer son exposé que le téléphone sonna. Mac-Corry étendit une main nerveuse vers l’appareil.
— Allô… Quoi ?… Ah ! Vous n’avez rien trouvé… Mon avis ? Je n’en sais rien. Mais vous pouvez poursuivre cette méthode. Si elle est inefficace, du moins montre-t-elle à la population que l’on tente quelque chose pour la protéger.
Le haut fonctionnaire raccrocha, en soupirant. Il s’assit et posa ses coudes sur le bureau. Son regard se fixa sur Spricey qui venait d’assister à l’entretien téléphonique. Un Spricey étonnamment calme, silencieux, détendu…
— L’une de mes patrouilles vient d’arrêter plusieurs personnes qui se trouvaient dans la rue au moment de l’attaque. Ces personnes viennent de subir une fouille minutieuse. Aucune d’elles ne portait une arme quelconque.
— Cela vous étonne, Corry ? fit Spricey d’un ton dégagé.
— Euh… Non. Je sais très bien que notre agresseur s’entoure de précautions. Mais tout de même. Cette clarté est bien émise par quelque chose et ce « quelque chose » tenu par un homme !
Le biologiste esquissa un sourire qui ne cadrait pas avec l’ambiance actuelle, un sourire désabusé, d’ironie…
— Très certainement. Du moins l’évidence l’admet. Mais avez-vous imaginé le cas où notre agresseur serait invisible ?
— Invisible ?… Professeur, vous poussez un peu loin votre imagination ! Nul homme, sur terre, n’a la propriété de se rendre invisible.
— Sur terre, d’accord… Mais qui prouve que notre agresseur ne vient pas d’une autre planète ?
Mac-Corry dégagea vivement sa tête qu’il tenait entre ses mains. Une lueur d’égarement traversa son regard affolé.
Il se dressa et marcha dans la pièce, en répétant, obsédé :
— D’une autre planète… Maxwell aussi prétend que nous sommes victimes d’une agression extra-terrestre. Est-ce possible, professeur ?
— Oui, si l’on considère que les Terriens ne sont pas les seuls êtres vivants dans l’Univers.
Mac-Corry, qui ne s’était jamais occupé d’astronomie, pensait que si un jour l’homme allait plus loin que la Lune, il ne découvrirait que des planètes « mortes », ou plus exactement sans habitants.
Que la Terre soit un sujet de curiosité pour les êtres d’un autre monde, mon Dieu, cela était probable, même certain. Mais de là à devenir une proie convoitée…
— Ecoutez, professeur, votre hypothèse étant purement gratuite, je ne croirai à cette histoire d’agression extra-planétaire que lorsque j’aurais vu, de mes propres yeux, nos ennemis.
— S’ils sont invisibles, il vous sera impossible de les distinguer !…
— Envisageons froidement le problème… Pourquoi ne pas admettre plus simplement l’hypothèse d’un conflit terrestre ?
— Parce que le problème n’est pas aussi simple que cela. D’ailleurs, si nous avions affaire à des Terriens, je pense que vos petites arrestations auraient abouti à un résultat.
— Vraiment ? ricana Mac-Corry d’un ton aigre. Eh bien ! professeur, nous allons immédiatement savoir si nous sommes attaqués par une autre planète… Vous permettez ?
Le policier décrocha le récepteur téléphonique et composa un numéro qu’il obtint rapidement.
— Allô… Le grand Q.G. militaire ?… Ici, Mac-Corry, chef de la police du district de Washington… Mes respects, mon général. Je voudrais savoir…
Spricey avait croisé les bras et contemplait le haut fonctionnaire avec ironie. Mac-Corry semblait trop sûr de lui. Qu’attendait-il donc du grand Quartier Général ?
Corry, satisfait, reposa le téléphone sur son support. Il semblait tranquille, du moins de côté-là…
— Le Grand Q.G. de l’armée vient de m’apprendre une chose rassurante, professeur. Le général Tamson, chef des postes détecteurs et des brigades de la surveillance spatiale, me confirme qu’aucun engin n’a été signalé dans le ciel d’Amérique. Aucun engin inconnu, évidemment.
Spricey hocha la tête.
— Dans le ciel d’Amérique, peut-être, mais ailleurs…
— Ailleurs, trancha Corry agacé, si un appareil extraplanétaire avait pénétré dans notre atmosphère, les postes détecteurs des autres puissances l’auraient signalé. Vous pensez bien que, jour et nuit, les radars veillent sur les trois satellites artificiels.
Le biologiste se leva, avec un soupir. Il tendit sa main longue et fine au policier.
— Dans ce cas, mon cher Corry, tout est pour le mieux… Admettons que je n’aie rien dit. Mais que les brigades spatiales ne relâchent pas leur surveillance.
— Au revoir, professeur, et je… Ah ! Excusez-moi, le téléphone…
En grommelant, Mac-Corry revint vers son bureau. Quelques instants plus tard, Spricey l’entendit hurler, dans le couloir.
— Professeur !…
Le biologiste se retourna. Le policier arrivait au pas de course, une expression d’effroi sur le visage.
— Que se passe-t-il ? Signalerait-on un engin…
— Il ne s’agit pas de cela, Spricey… C’est beaucoup plus grave. Quelques-uns de mes hommes ont aperçu un halo lumineux, A L’INTERIEUR d’un immeuble. Vous entendez, Spricey ? A l’intérieur… Ce qui signifie que nous ne sommes en sécurité nulle part. L’ennemi s’infiltre partout et je vais finir par croire qu’il est invisible. Peut-être en ce moment même rôde-t-il dans ce bâtiment…
Corry lança autour de lui un regard de bête aux abois. Spricey lui posa la main sur l’épaule.
— Allons, Corry, réagissez. À votre place, je ferais fermer les issues de secours. C’est une sage précaution, croyez-moi, si vous ne voulez pas vous volatiliser…